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Emile Soulu

Avant-guerre La Résistance La Déportation



l'arrestation

5. - L'arrestation.

Le 7 mars 1944, les gendarmes sont venus chez moi pour m'arrêter; ils ont vu que je n'y étais pas. Je remplaçais, à Gacsiotte, mon beau-frère qui étaient partis pour Rion-les-Landes afin de former un groupe de résistants. Il était maraîcher et, pour que son patron ne se plaigne pas de son absence, j'avais pris sa place. C'est là que, lorsque j'amenais les vaches paître dans les champs, je fus entouré par les gendarmes. Ils ont su par ma mère où j'étais. J'ai été questionné mais ils n'ont jamais pu prouver que j'appartenais à la résistance. Mon seul délit, pour eux, était ma défection au S.T.O. Les réfractaires étaient envoyés dans les camps de concentration, tandis que les résistants étaient passés par les armes, dans le meilleur des cas. J'ai toujours nié mon appartenance à un quelconque réseau de la résistance et c'est cela qui m'a sauvé. Je crois qu'ils m'ont cru. Heureusement, que, lors de mon arrestation, je ne me trouvais pas chez moi car, dans ce cas, ils auraient fouillé ma chambre et auraient, probablement, découvert les 5 révolvers cachés. Il m'eut été difficile de les justifier. Il devenait évident pour moi que je ne pouvais être recherché par la S.A.P, police française du commissaire Poinsot, que par suite d'une dénonciation. De plus, ce fut le capitaine de Dax en personne, aidé par les gendarmes de Peyrehorade, qui procéda à mon arrestation. Jamais je ne connus qui m'avait dénoncé et pour quelles raisons. Jamais je ne sus si ce dénonciateur me connaissait comme résistant ou simplement comme réfractaire. Comme je fus déporté je n'ai jamais pu entreprendre de recherches.

A Bordeaux, je fus retenu trois jours rue Bouffard, à la permanence de la police de Vichy avant d'être remis entre les mains des occupants. Je fus, alors, emprisonné au Fort du Hâ pendant 60 jours. C'est là que je rencontrais Saufrignon qui était inspecteur de police mais qui avait été arrêté.

Je fus interrogé et torturé par les agents de la S.A.P. Ils voulaient savoir si j'étais résistant et connaître l'identité de l'homme qui s'était enfui de chez moi, lorsque les gendarmes étaient venus m'arrêter. C'était un réfractaire que je cachais à Isabot. Les agents de la S.A.P étaient à la recherche d'un certain Lafourcade. C'était un réfractaire qui s'était aussi échappé. Je répondis que je ne le connaissais pas, ce qui était la vérité. Néanmoins, croyant, sans doute, que je mentais, mes geôliers me tabassèrent. Ils poursuivirent en me montrant sa photo. Effectivement, je le connaissais mais j'ignorais son vrai nom. Pour moi, c'était Pitchoun.


le fort du Hâ

6. - Le départ en déportation.


Nous partîmes pour Compiègne le 10 mai 1944. De nombreux autobus nous avaient transportés sur les quais de la gare Saint-Jean, à Bordeaux. Les Allemands nous avaient logés dans des wagons à bestiaux. Nous partions vers l'inconnu.

Plusieurs détenus écrivirent sur des papiers leur état de santé pour les jeter sur la voie ferrée. Les cheminots les récupérèrent et les transmirent aux familles. Nous sommes arrivés à Compiègne le 11 mai vers 15 heures. Le voyage fut très long car nous avons dû faire plusieurs arrêts sur des voies de garage. A Compiègne, nous couchions dans de belles baraques sur de la paille. La nourriture y était assez mangeable. Pendant la journée nous passions notre temps à tuer les poux qui se trouvaient dans nos chemises. Tous les détenus étaient mélangés. Nous passions notre temps à nous rassembler en fonction de nos affinités et nous nous interrogions sur notre devenir. Nous sommes partis le 21 mai de Compiègne. En début de matinée, nous marchâmes jusqu'à la gare en traversant la ville dont tous les volets des maisons étaient fermés. Certains habitants les entrouvraient quand même, mais les SS tiraient des coups de mitraillette. Ils nous embarquèrent dans des wagons à bestiaux avec une boule de pain et un saucisson, 100 à 120 par wagon. Nous ne pouvions pas nous allonger. Nous devions rester debout ou assis dans le meilleur des cas. Au milieu se trouvait un seul bidon pour faire nos besoins. Une petite lucarne grillagée était notre seule source de lumière. Il y eût deux ou trois arrêts pendant le trajet car, dans certains wagons, des déportés étaient parvenus à s'échapper. Suite à ces évasions, les Allemands nous parquaient dans une moitié de wagon pour nous compter. Le train s'est arrêté une nouvelle fois (vers Trêves ?). Les Allemands nous ont donné de l'eau. C'était le commencement de la déchéance humaine. Personne ne savait où nous allions. Certains disaient que nous allions dans un camp de travail. Après trois jours et trois nuits de voyage terribles, nous arrivâmes à Neuengamme. Plusieurs déportés étaient morts de soif. Petit à petit nous avancions dans la connaissance du système concentrationnaire.


7. - Le système concentrationnaire.


Nous sommes arrivés le 24 mai1944 à Neuengamme. Je crois que c'était le matin. Ils nous ont mis dans des caves pendant plusieurs heures. Ils nous ont rassemblés sur la place d'appel, puis nous sommes passés dans un baraquement dans lequel ils nous ont déshabillés, douchés puis rasés des pieds à la tête. Certains d'entre nous riaient de voir leur copain méconnaissable. Ils nous ont donné un pantalon, une chemise, un caleçon et un calot qui avaient appartenu à d'autres déportés. Sur la veste, sur le côté gauche, ainsi que sur notre pantalon était inscrit notre numéro matricule. Nous devions le connaître par cœur en allemand car sinon, nous risquions des coups de matraque (la schlague). Le mien était 30,816. Ensuite, les Allemands nous ont placés dans des baraquements où nous étions à peu près 500 individus. Il y avait des châlits à deux étages qui faisaient 60 cm de large. Nous étions deux par lit. Je me suis retrouvé avec des Russes et des Polonais car les Français avaient été dispersés dans les 22 baraques. Tous les matins, vers 7 heures, nous étions tous rassemblés sur la place d'appel Trois jours après notre arrivée deux Russes ont été pendus. Ils avaient tenté de s'échapper. Les Allemands ont dit dans toutes les langues que c'était là ce qui nous arriverait si nous essayions de fuir. Pendant huit jours, nous sommes restés sans travailler. Puis, un jour, sur la place d'appel, ils ont demandé des mécaniciens et des ajusteurs. Je suis sorti du rang et me suis retrouvé avec Albert Piqué. Une partie d'entre nous, dont Piqué, a été requise pour travailler dans une usine d'armement à l'intérieur du camp. Quant à moi, avec d'autres, nous sommes partis dans une usine de briqueteries à l'extérieur.

Mon travail était de pousser un wagonnet que d'autres détenus chargeaient de terre glaise nécessaire à la fabrication des briques. Nous étions quatre, de nationalités différentes ce qui rendait notre travail difficile. Un jour, alors que nous avions du mal à faire avancer le wagonnet, un SS nous a frappé avec sa matraque. Nous sommes tombés à terre; il m'avait touché l'épaule gauche. Le lendemain, je ne pouvais plus la bouger. Il me mirent alors dans un kommando de tresses. Il s'agissait de déchirer des lanières de chiffons pour en faire des tresses qui servaient ensuite à entourer une boule utilisée comme bouée d'accostage pour les bateaux du port d'Hambourg. Nous travaillions dehors, quel que fût le temps, jusqu'au mois de septembre. A cause du peu de nourriture que nous avions, je n'avais plus beaucoup de force. J'ai attrapé une pneumonie. Je suis rentré à l'infirmerie où j'ai eu la chance d'être soigné par le docteur Albert Barraut de Bordeaux. Il a réussi à me garder pendant trois semaines, ce qui me permis de prendre des forces. D'habitude, à l'infirmerie, au bout de huit jours, les malades mourraient faute de soins et étaient envoyés au four crématoire. Les docteurs SS les laissaient sans traitement car ils n'étaient plus aptes au travail.

Les SS faisaient aussi des expériences médicales sur vingt enfants juifs âgés de cinq à douze ans. Ils étaient arrivés d'Auschwitz en novembre 1944. Je me rappelle les avoir vu courir et rire, insouciants. Les Allemands les nourrissaient bien mais ils n'étaient que des cobayes. Le 20 avril 1944, ils ont été transportés à l'école « Bullenhuser Damm » où ils furent anesthésiés puis pendus à des crochets dans la cave de l'établissement. Les corps ne furent jamais retrouvés; sans doute furent-ils brûlés. Aujourd'hui, il y a leurs tombes vides dans la cour.

Le docteur Barraut a sauvé beaucoup de détenus. Lorsque je suis sorti, début octobre, la neige tombait. Je me suis retrouvé dans un autre baraquement avec des jeunes. J'avais aux pieds des claquettes, sans chaussettes. Quelques jours après, les Allemands sont venus me chercher pour construire un autre four crématoire. Je devais passer des briques. Trois ou quatre jours plus tard, je suis revenu travailler dans un bloc au kommando des tresses. Au mois de mars, j'ai été transféré dans les prisons de Hambourg en tant qu'invalide. D'autres étaient déjà partis à Bergen-Belsen. La prison avait été bombardée et l'était encore. Aussi, nous partions dans les caves humides pour nous protéger. La prison était entourée d'eau. On travaillait à faire des camouflages pour le front. La plupart du temps nous ne faisions rien. Nous n'étions pas frappés. Les quantités de nourriture y étaient toujours aussi réduites. J'ai su, par la suite, que cela avait été une chance pour moi de ne pas être resté à Neuengamme. Les nazis, devant l'avancée des troupes alliées, vidèrent le camp selon les consignes d'Himmler et les déportés durent rejoindre la baie de Lübeck sur la Baltique. Là, ils furent embarqués dans des bateaux et, le 3 mai, ils furent bombardés par des avions alliés. Les Britanniques crurent qu'il s'agissait d'un convoi SS tentant de fuir; 7.000 déportés trouvèrent la mort ce jour-là, dont le docteur Barraut.

Les Allemands nous ont ensuite fait partir en train pour Bergen-Belsen. Le voyage a duré une semaine à cause des bombardements. Nous étions 80 par wagon. Nous avons abouti finalement à la gare de Bremen vord près de Senbostel. A l'arrivée, le tiers des déportés était mort. Nous avons dû empiler les morts. On nous a entassé ensuite 7 à 8 par decauville conduits par des prisonniers de guerre. Nous sommes arrivés ainsi au camp de Senbostel vers le 10 avril. Nous avons été parqués dans des baraquements sans lit ni paillasse: sans rien. Nous dormions par terre. Heureusement, les prisonniers de guerre, mieux traités, nous jetaient des pommes de terre et des cigarettes. Un, de Dax, nous faisait passer du chocolat et des pommes de terre que nous partagions en petit groupe. J'étais notamment avec Saufrignon rencontré au Fort du Hâ, avec Gambier, rencontré aux tresses... il fallait cacher la nourriture aux Russes car il nous la volait. Nous étions très faibles. Le tiers des effectifs du camp est mort à cause du typhus et du manque de nourriture. Certains Russes essayaient de prélever des morceaux de chair sur les cadavres pour se nourrir.


Libération
8. - La Libération.


Nous avons été libérés le 29 avril 1945. Le 30, les soldats anglais ont réquisitionné les femmes des villages des alentours pour nous faire la toilette et nous habiller avec des vêtements de l'armée française. A la libération du camp, les Canadiens avaient dénombré 2.871 corps. Quant à moi, grabataire, je fus amené dans un hôpital militaire à Bassoum qui recevait les blessés de Senbostel.

J'ai été évacué sur Paris, vers le 12 juin, par avion militaire et je me suis retrouvé à l'hôtel « Lutécia » qui était le centre d'accueil de tous les déportés. J'y suis resté cinq ou six jours. Les médecins ont voulu m'hospitaliser mais j'ai refusé car je voulais voir ma mère qui n'avait pas eu de nouvelles de moi depuis 17 mois. J'ai donc demandé à partir à Dax avant d'être hospitalisé.

Je devais peser dans les 38 kilos. Le 15 ou le 16 juin, je suis rentré à l'hôpital Pellegrin, à Bordeaux. J'y suis resté 12 mois. On m'a enlevé la tête humérale prise par la tuberculose puis, je fus hospitalisé à Robert Piqué pour être soigné d'une tuberculose urinaire. On m'enlevait un rein à la clinique Tourny. Je sortais de l'hôpital au mois de juin 1949. Entre temps, on m'envoyait dans des maisons de repos: à Chamonix, à Bagnères de Bigorre...

J'avais l'épaule gauche bloquée et un seul rein.

Je n'ai pu travailler qu'en 1956, date à laquelle j'intégrais la Sogerma,



Emile Soulu